Rav Benchetrit - Le mystère du couple : faire UN avec DEUX !

Se donner entièrement en n’omettant jamais la notion d’humour dans tout ce qu’il fait, le Rav Benchetrit transporte sa spiritualité et sa philosophie un peu partout dans le monde. Près de deux cents conférences par an, la diffusion de centaines de milliers de cours, l’écriture de livres pour faire mieux comprendre la Thora au plus grand nombre. Au-delà, ce sont de véritables leçons de vie et de philosophie qu’il distille, voyant son épouse, jamais loin, comme une autre partie de lui, une écoute, un soutien, un pilier pour assurer une communion essentielle à la puissance de la force qu’il offre à son auditoire. Le couple chercherait-il, derrière nos intentions, à sublimer une telle osmose ? Quelles leçons a-t-on à apprendre de ces deux qui, chaque jour, creusent un peu plus profond dans les secrets de la réussite de l’amour ? Entre le Moi et l’autre, se relier au fil qui défile le film de l’essentiel et comprendre un peu plus le mystère du couple.

Quel sens a le couple pour vous ? 

Rav Benchetrit : C’est la rencontre de deux personnes, mais surtout de deux âmes. Les personnalités sont nécessairement différentes et la différence, si nous l’utilisons,  c’est un pont. Si nous la subissons, c’est un mur. Le reste consiste à faire en sorte que l’alchimie de ces différences crée un lien entre les deux âmes. Cela s’appelle la communion des bonnes volontés. Si nous arrivons à ce niveau-là, ce qui suit est facile. Si nous confrontons deux mauvaises volontés ou une bonne et une mauvaise, nous restons sur place.

A quoi ressemblerait l’alchimie de la bonne rencontre ?

Rav Benchetrit : C’est surtout le travail qui importe. Les personnes de bonne volonté et construites, peuvent s’adapter à presque tout le monde. Il faut ensuite trouver la longueur d’onde. On dit que pour créer un amour commun, il faut détruire deux amours propres. On retire les écueils, on enlève les écrans et le courant  passe. Au contraire,  on cultive la fracture et on s’étonne de ne rien avoir en commun.

La spiritualité c’est important au sein du couple ?

Rav Benchetrit : Dans la Thora,  c’est un commandement positif en soi que d’avoir la paix dans un foyer. Cela va au-delà que de dépasser les individualités, mais c’est  donner un caractère spirituel à la paix. On retire la relativité du « Toi » et du « Moi » car « nous deux » on se retrouve impliqués dans un projet qui s’appelle la paix.

 Qu’est-ce que c’est la paix ?

Rav Benchetrit : C’est le signe de la présence divine. Donc lorsque l’on veut faire régner la paix dans une maison, comme on veut faire régner la paix entre les enfants et les parents ou faire régner la paix entre les hommes, on doit avoir une règlementation au-delà de notre individualité. L’individualité a pour sens la subjectivité, les intérêts personnels, les comportements différents.

En même temps, dans une relation, l’intérêt personnel est toujours en jeu ?

Rav Benchetrit : Oui, mais lorsque l’on peut le sublimer pour un intérêt commun, c’est mieux. Plus l’intérêt commun va être sublimé, moins il va subir les limites de notre petitesse. La seule manière d’être grand, c’est de ne pas être petit.

Un couple issue d’une religion ou d’une spiritualité différent devrait commencer par définir le sens de la paix ?

Rav Benchetrit : Il faudra qu’il trouve le logiciel de compatibilité. Lorsque vous allez en Italie avec une prise française, il faut acheter un adaptateur sinon le courant ne passe pas. Maintenant le problème, c’est qu’il ne faut pas seulement rendre compatible les personnes ou les intermédiaires, mais rendre compatibles les âmes. Car il y a là un projet qui est plus grand que nous, que notre conscience, que notre volonté personnelle et que notre projet existentiel, c’est un projet divin. Il faut voir ensuite comment notre projet personnel s’inscrit dans le projet divin.

Vous dites qu’une personne qui n’a pas la Foi ne peut pas se projeter dans l’avenir. Est-ce que c’est le propre du couple que de se projeter dans l’avenir ensemble ?

Rav Benchetrit : C’est vrai dans tous les phénomènes de la vie. Le couple s’inscrit dans une logique d’avenir. On se donne les moyens, non  pas d’être plus heureux au présent, car ça, ça s’appelle de la consommation, mais on se donne les moyens d’être heureux à long terme. Ça s’appelle de l’investissement. Regarde-t-on  la mise en place d’une structure qui soit forte dans le respect tant que les sentiments ou l’intimité pour le long terme ou non ? On est souvent  dans une logique de consommation. Lorsque quelqu’un mange une glace, il est fort probable qu’il ne garde pas le bâton.

Le sentiment d’amour est-il, selon vous, en phase avec la rencontre ou avec sa propre histoire ? Est-ce que c’est égoïste finalement ?

Rav Benchetrit : Ce sont les deux lectures. En hébreu les lettres ont une valeur numérique et  dans les textes le mot « amour », « Ahava », a la même valeur numérique, que le mot « eh'ad »  qui signifie « un » donc aimer c’est faire UN. Quand on fait UN,  il se passe une alchimie que l’on appelle vulgairement « sentiment ». Maintenant si on fait DEUX, il n’y a pas d’alchimie. Lorsque l’on consomme, on ne dit pas «  j’aime une pomme » car vous voyez bien ce que vous en faites. Quand je m’aime moi-même je me sépare de l’autre et quand j’aime l’autre je me rapproche. Si j’aime le « Moi » que j’ai mis dans l’autre et que l’autre a créé un espace en elle pour accueillir le « Moi » que j’y ai mis, ça veut dire qu’elle reconnait le bien que je lui apporte et moi je reconnais le bien qu’elle m’apporte. Après un travail d’abnégation, nous pouvons fusionner. Il n’y a plus le Moi et le Moi, il y a le « Nous ».

La jalousie, par exemple, serait alors l’expression d’un amour à l’extrême ou d’un fort amour de soi-même ?

Rav Benchetrit : S’il y a jalousie, c’est qu’il y a un problème de confiance. La confiance a deux visages, un manque de confiance en soi et un manque de confiance en l’autre. Or, la confiance c’est aussi faire le lien (con + fiance = avec la foi) et comme je le disais,  la Foi c’est de voir l’avenir. Et lorsque l’on fait communier la Foi en soi et la Foi en l’autre, on est déjà dans le « un ». Dans le « un » il n’y a plus de problème de jalousie. Qu’il y ait une distance physique ou mentale, on a l’esprit tranquille car on sait que le lien a été créé. En revanche,  si le lien n’a pas été créé,  ce n’est pas la prison ou l’engagement qui empêchera l’un des deux d’aller voir ailleurs si il n’est déjà pas là.

Et la séduction dans tout ça ?

Rav Benchetrit : Elle est nécessaire. C’est une séduction de construction.

Qu’est-ce que ça veut dire une séduction de construction ?

Rav Benchetrit : lorsque vous améliorez un produit, que vous rangez une maison, vous décorez un plat,  vous donnez un attrait pour que ce que vous faites devienne attirant. C’est normal. Mais là, il ne s’agit pas d’objet mais de la nature d’une relation  et l’évolution de son intensité. On est dans une logique d’investissement. Donc on doit se plaire, être attrayant, intéressant. On doit être sympathique. On doit se draguer après le mariage. C’est pas parce qu’on a attrapé le poisson qu’on arrête de le nourrir. C’est le maintien de la dynamique du couple.

Que penser des couples qui, après des années, essaient  de trouver ailleurs leur besoin de séduire ?

Rav Benchetrit : Ils sont dans une logique de consommation. Le principe se base serait : « j’ai toujours fait pour moi-même, par rapport à moi-même et aujourd’hui moi-même,  j’ai encore besoin de me prouver que moi-même je suis capable de séduire ». C’est une espèce de masturbation en communauté. Quand on veut essayer de plaire à l’autre, c’est un jeu. On veut être l’objet du désir de l’autre et l’on veut que l’autre soit notre objet. C’est très loin de la notion du couple. C’est une notion de célibataires organisés en couple, donc une paire.

Vous avez réussi dans votre vie à faire « UN » ?

Rav Benchetrit : (sourire) On travaille tous les jours pour ça ! Chaque jour on rajoute des pierres sur la construction. Construire, c’est mettre ensemble de manière durable, deux choses initialement séparées. Cette construction dure éternellement car le but n’est pas la construction que l’on produit, c’est l’acte de construction que l’on maintient. Et l’action de construction maintient le lien. C’est lorsque l’on cesse de construire que tout se détériore. Les maisons qui durent le plus sont des maisons entretenues.

Ça veut dire que le couple a toujours un but au départ ?

Rav Benchetrit : Oui, bien sûr !

Et quel serait le but ultime ?

Rav Benchetrit : Qu’après la vie, les deux moitiés d’âme restent ensemble éternellement séparées des deux corps. Lorsque l’on sublime les corps, les intérêts personnels, l’égoïsme et l’orgueil, on fait une confusion des âmes. Et la confusion des âmes vécue ici, se prolonge pour l’éternité. Mais ça, c’est dans la mesure où l’on a un projet. Dans le cas contraire, c’est de la consommation rapide comme on le fait pour un hamburger.

Croyez-vous au coup de foudre ?

Rav Benchetrit : Si on parle de l’âme, elle a une longueur d’onde qui peut facilement percevoir une même autre longueur d’onde. C’est comme quand vous êtes dans un stade et que sentez que quelqu’un vous regarde, pourtant il y a 80 000 personnes. C’est parce qu’il y a une perception. Dans ce cas c’est beaucoup plus intense. C’est comme un aimant que vous cassez en deux, il s’écarte ou il se colle. Entre deux personnes, il y a deux moitiés d’âme. Cet arc électrique qui jaillit entre deux personnes, c’est le coup de foudre. Je ne parle des personnes qui ont cette sensation quatre fois par jour.           Ce sont des courts circuits, c’est autre chose.

Et puis il y a parfois cette impression que l’on se connait depuis toujours au bout de quelques heures ?

Rav Benchetrit : Dans l’extériorité nous sommes tous différents, mais dans l’essentialité nous sommes pareils. Les personnes qui arrivent à traverser la superficialité se retrouvent tout de suite. Ce n’est pas la distance qui fait la distance. Il y a des personnes avec qui vous êtes à l’aise en cinq minutes, d’autres que vous avez quittés il a vingt ans et que vous croisez  dans un aéroport comme si vous vous étiez quittés la veille. Et il y a des personnes qui sont face à vous depuis vingt ans et avec qui il y a une distance. Si on a touché la longueur d’onde de l’essentialité, elle n’est pas temporelle. Donc on peut faire en trois secondes ce que l’on peut faire en dix ans.

Quel est le secret pour faire durer un couple ?

Rav Benchetrit : La matière a un début et une fin, mais à l’intérieur il y a les valeurs qui n’ont pas de début, ni de fin.  Donc il vaut mieux investir dans l’indivisible que dans le divisible. Si vous investissez dans la maison, on peut la couper en deux. Si vous investissez dans les enfants, vous pouvez vous partager le temps, quinze jours chacun, avec eux. Si vous investissez dans l’argent, vous pouvez séparer les comptes. Mais si vous investissez dans la communication, le respect, la communion, la compréhension, la douceur, la bonté ou la reconnaissance, ce sont des notions indivisibles.

Pour investir dans une bonne communication, quel serait le premier conseil à nous donner ?

Rav Benchetrit : D’abord la communication vient de commun et commun c’est « comme un ». Il faut donc avoir déjà le projet de communion dans la communication. Si vous  ne cherchez  pas à être clair sur ce que vous voulez dire et pas sur ce que vous dites, sur les mots pour le dire et l’intention qu’ils vont véhiculer, vous  ne pouvez pas atteindre la communication. Lorsque l’on fait ce travail de communication, on communique dans la communion. Après,  nous allons communier dans le don, c’est-à-dire donner ce qui est adapté à l’autre et qui est nourri par ce que vous donnez. Et dans l’autre sens vous serez nourri par l’autre. Nous allons ensuite reconnaître le bien qui nous est donné. C’est ce que l’on nomme la reconnaissance. En fait, il faut toujours garder la trame de la communion dans tout ce que vous faites. Lorsque l’on se dispute, c’est pour se réconcilier.

Est-ce qu’au bout du compte le secret,  c’est toujours prendre soin de l’autre ?

Rav Benchetrit : Cela en fait partie. L’amour c’est la communion des existences. Ça devient donc de la coexistence. Ne peuvent s’aimer que des gens qui coexistent et ne peuvent coexister que des gens qui existent. Il y a beaucoup de personnes qui cohabitent et peu de gens qui coexistent.